Pour feter la fin du manuscrit de mon dernier roman (encore sans titre et loin de la publication) je met ce conte pour enfant (Le Prince triste ) gratuit pour la journée.
Quand j'ai présenté le conte à mon lecteur alpha, sa réaction a été : "Comment tu as imaginé tout ça?".
Paradoxalement cette question ne lui vient pas, à propos du dernier Jasper Forge, ou Armistead Maupin, qu'elle lit et qu'elle adore, bien qu'ils soient particulièrement imaginatifs.
Une phrase de Borges dit en substance:
La phrase n'est pas de Borges, mais c'est chez lui que je l'ai vu citée.
En l'occurrence, mon lecteur alpha ne soupçonne pas les nuances de mes mouvements gastriques justement parce qu'elle me fréquente au quotidien. Elle ne s'attend pas à ce que je sois particulièrement imaginatifs vu qu'elle constate chaque jour mon coté terre à terre. Bref, la question m'a paru intéressante, c'est la raison de ce post.
Borges, encore lui (je pourrais renommer ce blog "Borges & les jeux de stratégie" sans trop mentir) nie que l'analyse célèbre que fit Edgar Allan Poe à propos de son poème "le corbeau" possède le moindre soupçon de vérité. Il prétend que l'intention du poète ne peut se réduire au processus quasi mécanique avec lequel il décrit sa création poétique.
C'est une idée romantique. Celle des muses, que Borges ré-actualise en croyant, ou feignant de croire que les livres en quelques sorte pré-existent leurs auteurs. Borges dans son immense modestie refuse de croire que ce qu'il écrit est une conséquence de son génie. Ce n'était pour lui qu'une sorte de matière éthérée qui avait eu le bon goût de tomber en plein sur l'individu Borges mais qui aurait pu tomber sur n'importe qui d'autre. J'ignore à quel point il cru cette fable, mais il est évident qu'il la défendit dans son œuvre à de nombreuse reprise et eu la générosité de l'appliquer à l'ensemble des auteurs morts, vivants, et à venir. Borges a offert à tous un remède à la vanité. Certains ont pourtant du mal à l'avaler.
Bref. Suite à cette question j'ai décidé de détailler les diverses étapes de la création de ce conte pour enfant. Je n'ignore pas ce que ce processus peut avoir comme impact négatif (et je ne parle pas de spoiler révélé). Mais, de même que j'adore l'analyse de Poe sur son poème, j'ai toujours souhaité voir plus d'auteurs détailler la trivialité de la création littéraire, car dans mon cas c'est sacrément trivial:
Mon recueil de contes pour enfant Le plus petit président du monde, et autres contes de fées a pour principes fondateurs :
- La morale doit alerter l'enfant contre un danger domestique
- Le conte doit mettre en scène une difficulté lié à l'enfance (la petitesse, la fratrie, la parole, etc)
- S'inspirer de personnages politiques réels
Au final je pense que ce conte est d'une certaine façon le plus autobiographique.
En recherchant des informations sur Macky Sall (le président sénégalais) dans la presse africaine, j'ai constaté qu'il était réputé pour sa taciturnité.
Je tenais le thème de mon conte: Traiter du problème de la parole (surtout de son absence) chez l'enfant. J'avais donc ce personnage qui refuse de parler.
Après, le cadre des rives du fleuve Sénégal, l'humidité lourde et menaçante de la Casamance m'ont incité à suivre ce schéma classique des contes épiques: celui du héros qui doit partir faire ses preuves.
Sur ordres de son père, pour introduire de façon je l'espère comique le rapport à la parole (et son absence), le héros part donc sur les chemins avec un MacGuffin (Cf Bottes de 7 lieues) pour l'aider.
La réalité me donne la première rencontre du conte et la fin: Sall est réputé pour avoir fait construire une route et un aéroport alors qu'il était ministre. Je décide donc que la morale sera "qu'il faut faire attention avant de traverser la route."
Et par souci de cruauté (comme Bettelheim j'estime qu'elle est nécessaire dans un conte pour enfant, et bien plus vitale que la prétendu vertu catharsique du théâtre) ; par cruauté, donc, je décide que la route sur lequel le héros aura un accident sera celle même qu'il aura fait construire. La première rencontre se fait avec un commerçant, car il faut un voyageur pour rencontrer un autre voyageur comme l'est le héros.
Une fois que j'avais le commerçant, comme tout va par trois dans la vie comme dans les contes pour enfants, et comme j'ai suivi une formation d'économiste, je décidais d'ajouter par symétrie les deux autres facteurs économique dans le conte: L'industrie et l'agriculture suivraient le commerce.
J'ai longtemps hésité sur l'industrie à mettre en scène. La réalité m'a encore soufflé la réponse. Sall fut réputé pour son usage des réseaux sociaux lors de son élection. Je décidais donc que l'industrie en question serait l'informatique. Et quel problème le héros devrait-il résoudre? Comme depuis des mois j'ai des problèmes de surchauffe de mon portable (si quelqu'un connait une marque de portable qui évite cet écueil, commentez) , et que la chaleur semblait un souci légitime en Afrique j'avais le problème de mon industrie.
La résolution passe par le MacGuffin, et donc toujours pour la règle de trois, par l''intervention d'un des 3 éléments: après l'humain utilisé pour la route, il me restait le végétal et l'animal. De même que les 3 facteurs économiques sont présentés en ordre croissant d'importance pour la survie, les trois éléments sont présentés en ordre de complexité décroissant: les animaux seront la solution. Réservant le végétale pour résoudre le dernier problème.
Personnellement le Sénégal est lié pour moi aux Hippopotames suite à des histoires personnelles les impliquant dans ma jeunesse. Ce fut peut être une erreur de les mettre en scène. Comme dit Borges (c'est sa journée) "il n'y a aucun chameau dans les milles et une nuit". Mettre des hippopotame en scène en Afrique dénonce mieux que tout le reste l'origine européenne de l'auteur. Tant pis.
La suite s'écrit toute seule. Le héros doit subir un malheur sur une route, des hippopotames humides sont impliqués: Macky glissera sur l'eau et tombera sur la route. La peur inspiré par l'utilisation abusive du dernier pouvoir du MacGuffin (pouvoir végétale) provoquera la chute du héros par une sorte de justice divine qui punit le héros pour chacun des actes de pouvoirs qu'il a commit au cours de l'histoire.
Borges a peut être raison. Les choses s'écrivent toutes seules.
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