15 novembre, 2012

Le mythe de l'écrivain maudit


Les bisounours emo goth... Un arc en ciel qui sort du ventre, c'est du sang
En noir et blanc tout est tout de suite plus profond
Le blog ami commence son dernier post par cette phrase dont on ne sait pas vraiment si c'est une blague ou une profession de foi: "[ce livre] a été écrit dans la douleur"
Je vais naivement croire que c'est un postulat légitime (vu que je peux y céder) et  tenter rapidement ici de le réfuter.




Borges fait remonter le concept de l'auteur souffrant sur son livre au fameux journal de Flaubert, ou l'auteur détaille par le menu la souffrance que lui cause la moindre phrase.
Pourtant il a été souligné que si Flaubert trouvait hideux les sons "k" et veillait à supprimer toutes les conjonctions : qui, que, quoi; Il est par contre très laxiste avec "comme" particulièrement fréquent dans son œuvre , et de sonorité tout aussi laide à son aune.

C'est pas évident d'accuser ce pauvre Flaubert de posture, et de poudre aux yeux dans son propre journal intime. Quoique!
Parce que si Borges a prit comme origine au mythe (car s'en est un, on va bien vite s'en apercevoir) de l'auteur luttant contre les mots le symptomatique Flaubert, il fait abstraction d'un phénomène plus générale à la même époque et bien plus répandu: le romantisme moribond.

Je veux parler bien sur de Baudelaire et de toutes la poésie de l'opium, de l'alcool, du spleen et de l'absinthe qui a suivi.
Parce que ni Jean Zoubar, ni moi n'avons lu les tomes laborieux du journal de Flaubert. Pourtant il suffit de nous pousser un peu pour que nous déclarions de concert: "trop dur d'écrire" comme un modèle plus à notre échelle: Caliméro. Parce que la posture du poète maudit nous la connaissons, et elle est tentante pour cacher que nous jouons.

Le postulat que le "metier" (je met des guillemet parce ce que ce n'est même pas ca) d'écrire doit s'accompagner d'un retournement de tripe est un outil séduisant. Au XXIeme encore il permet encore de fustiger les autres auteurs : Il n'a pas écrit avec ses tripes; Ca ne vaut  rien.
Le conseil que donna Fitzgerald à un ami qui voulait écrire : Ecrit dans la douleur; J'ai écrit Gatsby le magnifique juste apres une terrible rupture et encore imprégné de la douleur de la perte de l'être aimée.
Je dramatise à peine on doit pouvoir retrouver l'ensemble de la lettre sur letters of note.

Je me demande si ils ont pas épuisé leur stock de couleurs vives à faire ce Dessin Animé


Dans une horrible récente interview, Bret E.Ellis prétend avoir donné le même "conseil" à un de ses amis qui voulait écrire. Sur twitter tel indépendant moque la légèreté du livre de son voisin et rappelle que le sang coule avec les mots.

Avant ces gens un peu lugubres qu'était l'écriture?
Un passe-temps, à peine notable: Shakespeare ne faisait même pas imprimer ses pièces.
C'était un cadeau des muses. Coléridge prétend avoir écrit son plus beau poème ("Kubilai khan") au cours d'un rêve.
Je veux bien reconnaitre que ce n'est pas forcément facile d'écrire une histoire. Mais la vie de personne n'en dépend et surtout personne ne te force.
D'ailleurs même ceux forcés à écrire pour raison financière, Dumas, Dostoevsky, ne se sont jamais plaint de l'activité.

Il s'agit d'amuser, de divertir le lecteur comme le rappelle Voltaire. Pas de saigner sur la page. Saigner pourquoi? Pour dire ce que tu ressens au fond de toi. C'est alors un problème d'honnêteté envers soi-même. Et pour prétendre (car s'est une prétention, et une vaine prétention de surcroit) que l'on a souffert en écrivant, il faut, en effet, manquer sacrément d'honnêteté envers soi-même.

Si tant de gens écrivent depuis si longtemps, c'est parce que c'est plaisant d'imaginer des histoires comme le font les enfants. Ce qui est douloureux, par contre, je le conçois, c'est de voir comme le résultat est souvent très en deçà des espérances.

Amis auteurs, continuez à écrire... et ne souffrez pas trop en le faisant.

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